Transcription de LRT_02_01_00253 Jean-Philippe Toussaint Transcripteur AnaC

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Laboratoire Litt&Arts Brouillons de La Réticence Jean-Philippe Toussaint
II, 253

J'avais rencontré Hélène pour lLa première dernière fois que j'ai vu Helène, c'était ???, il il y a onze jours exacte- ment, et nous avions fait l'amour le premier soir que nous nous étions connus. Depuis, je ne l'avais plus revue. Nous nous étions ratés un soir dans une brasserie où elle m'avait donné rendez-vous, ou plutôt je n'avais pas pu me résoudre à franchir les quelques mètres qui me séparaient d'elle ce soir- là, car j'étais arrivé très en avance et lorsqu'elle arriva elle-même, je ne bougeai pas, je ne sais pas pourquoi, je demeurai assis sur la banquette d'angle que j'occupais dans le fond de la salle. Elle jeta un coup d'oeil vitrée. Elle était habillée très joliment, avec un chemisier blanc et une jupe verte ample et légère, ses lèvres et ses yeux étaient légèrement maquil- lés et il y avait quelque chose de radieux et de simple dans son visage qui me touchait. Elle m'attendait sans impatience, comme si elle n'attendait personne, commanda un café dont elle but quelques gorgées, jetant de temps en temps un regard tranquille dehors à travers la baie vitrée. Puis, au bout d'une vingtaine de minutes environ, elle sortit un livre de son sac et commença à lire. Je ne la quittais pratiquement pas des yeux, aper- cevant son reflet de profil dans le miroir qui me faisait face, et j'éprouvais le sentiment d'être idéalement présent à ses côtés, beaucoup plus présent sans doute que si j'avais été réellement à côté d'elle, car je me serais alors aussitôt réfugié dans une sorte d'bsence intouchable et protectrice. D'une certaine manière, pourtant, cela ne m'aurait pas déplu qu'elle m'eût soudain aperçu à l'improviste et qu'elle fût venue me rejoindre à ma table, je lui aurais souri sûrement, les yeux baissés, et lui aurais reproché amè- rement de m'avoir fait attendre vingt minutes. Elle aurait souri aussi, ou aurait émis quelque réserve amusé, ou m'aurait pris la main par-dessus la table, enfin quelque chose se serait passé qui m'aurait entraîné et m'aurait forcé d'accompagner le cours des instants qui passaient, plutôt que de les imaginer toujours, dans un mélange d'espérance et de crainte. A un moment qu'elle continuait de lire devant la baie vitrée, elle releva la tête de son livre et regarda la salle dans ma direction. Elle resta un instant sans bouger, pensive, et je crus qu'elle m'avait aperçu. Mais non, elle finit par ranger son livre dans son sac et déposa un chapelet de pièces de un franc sur la table pour payer son café. Il était dix heures moins cinq quand elle quitta la brasserie — et j'avais déjà envie de la revoir.