Transcription de LRT_06_02_00052 Jean-Philippe Toussaint Transcripteur saintils Gestionnaire brigittefc

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Laboratoire Litt&Arts Brouillons de La Réticence Jean-Philippe Toussaint
VI ② 52

J'allai recoucher mon fils dans son lit car j'avais décidé de faire la sieste.

Je m'étais couché, et je demeurais les yeux ouverts dans la pénombre sans dormir. Mon fils respirait doucement dans son lit, qui s'était rendormi dès que je l'avais recouché, et j'apercevais son petit corps recroquevillé sur le matelas à travers la fine paroi ajourée de son lit. Je n'entendais aucun bruit dehors, et, chaque fois, que je fermais les yeux maintenant, je revoyais de facon obsessionnelle l'image du cadavre du chat dans le port, ses oreilles dressées à la verticale hors de l'eau et ses moustaches trans- lucides, le corps renversé dans l'eau grise qui flottait lourdement à la surface, et bientôt c'est une autre image angoissante que j'avais déjà vue qui m'apparut insensiblement, l'image du visage de Biaggi qui me regardait, puis c'est tout le corps de Biaggi que je vis, le corps de Biaggi qui flottait sur le dos dans le port, immobile et les bras écartés, vêtu d'un caban et d'un pantalon de  en toile qui remontait légèrement sur ses mollets, les chaus- sures et les chaussettes déjà complètement imbibées d'eau. Il avait une cravate autour du cou, déchirée, et sa tête était couchée sur le côté, une joue bleuie légèrement enfoncée dans l'eau. La cravate n'était pas nouée autour de son cou comme un nœud habituel de cravate, mais flottait librement autour de ses épaules, comme une écharpe, et des traces rouges apparaissaient à la base de son cou, de faibles mais indiscutables traces de strangulation, de sorte que Biaggi avait dû être étranglé avec cette cravate selon toute vraisemblance, Biaggi avait été étranglé une de ces nuits dernières sur la jetée du port avec cette cravate par quelqu'un qui l'avait rejoint sur la jetée pendant la nuit, quelqu'un qui s'était approché de lui par derrière sous le même clair de lune toutes les nuits identique, toujours le même exactement, avec les mêmes nuages noirs qui glissaient dans le ciel, et qui lui avait passé sa cravate autour du cou, sa propre cravate qu'il n'avait pas enlevée et qui était toujours nouée au col de sa chemise, et qui avait commencé à serrer alors, tandis que les mains de Biaggi s'accrochaient à ses poignets  pour le