Transcription de LRT_05_01_00083 Jean-Philippe Toussaint Transcripteur ZHANG Yuxian Gestionnaire brigittefc

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Laboratoire Litt&Arts Brouillons de La Réticence Jean-Philippe Toussaint
V ① 83

du vestibule, je vis fugitivement passer ma silhouette en manteau sombre et en cravate dans le noir.

  Le ciel était immense et sombre devant moi dans la nuit, et quelques longs nuages noirs, lentement, glissaient dans le halo de la lune. J'étais monté au premier étage de la villa pour visiter la chambre des Biaggi, et, n'ayant trouvé personne à l'étage, je m'étais approché lentement de la fenêtre de la chambre à coucher des Biaggi  et j'avais ouvert les volets. J'étais tout seul dans la maison apparemment, et je me tenais   debout à la fenêtre de la chambre des Biaggi à regarder le parc. Il n'y avait pas un bruit dans la propriété, et, de temps à autre, le long faisceau lumineux du phare de l'île de Sasuelo surgissait brusquement dans la nuit, qui semblait venir de nulle part et disparaissait aussitôt derrière les frondaisons des arbres en replongeant le parc dans la plus complète obscurité. Les grilles d'entrée de la propriété étaient faiblement éclairées par la lune au bout de l'allée ?)de graviers, et je songeais que Biaggi — car Biaggi savait que je me trouvais là — que Biaggi— car Biaggi savait très bien — devait sans doute savoir  que je me trouvais là en ce moment — en ce moment — devait savoir se trouver dans le village cette nuit — n 'allait pas plus tarder à rentrer main- tenant, que la vieille Mercedes grise allait s'arrêter d'un moment à l'autre devant la grille, le moteur encore ronronnant et les deux phares allumés dans la nuit qui éclaireraient  obliquement les pierres irrégulières du mur d'enceinte de la propriété. Je serais là debout à la fenêtre de la chambre à coucher, à coucher et je verrais alors Biaggi descendre de la voiture dans l'obscurité pour aller ouvrir les deux battants de la grille. Je ne bougerais pas, et je le verrais remonter au volant de la voiture, et, lorsque la voiture entrerait lentement dans le parc, Biaggi découvrirait alors soudain devant lui dans la lumière des phares la nuit ma silhouette en manteau nombre et en cravate debout à la fenêtre de sa chambre.

  J'étais redescendu dans le salon, et je m'étais assis un instant dans l'obscurité sans enlever mon manteau. Les vitres du salon étaient très sombres en face de moi, derrière lesquelles le rideau métallique était baissé qui ne laissait pénétrer aucune lumière dans la pièce, et je devinais les contours silencieux des meubles dans l'obscurité, le canapé et les