Transcription de LRT_05_02_00143 Jean-Philippe Toussaint Transcripteur Mx.eyme Gestionnaire brigittefc

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Laboratoire Litt&Arts Brouillons de La Réticence Jean-Philippe Toussaint
V ② 143

J'allai fermer les rideaux car j'avais décidé de faire la sieste.

Je m'étais recouché, et je demeurais les yeux ouverts dans la pénombre sans dormir. Mon fils respirait doucement dans son lit, qui s'était rendormi dès que je l'avais recouché, et j'apercevais son petit corps recroquevillé sur le matelas à travers la fine paroi ajourée dude son lit.   Je n'entendais aucun bruit dehors, et, chaque fois que je fermais les yeux maintenant, je revoyais de façon obsessionelle l'image du cadavre du chat dans le port, ses oreilles dressées à la verticale hors de l'eau et ses moustaches brisées translucides, le corps renversé dans l'eau grise, qui flottait lourdement à  la surface, et bientôt c'est une autre image angoissante que j'avais déjà vue qui m'apparut insensiblement, l'image du visage de Biaggi qui me re- gardait, puis c'est tout le corps de Biaggi que je vis, le corps de Biaggi qui flottait sur le dos dans le port, immobile, et les bras écartés et les bras écartés, vêtu d'un anorak caban et d'un pantalon en toile qui remontait légèrement sur ses mollets, les chaussures et les chaussettes déjà complètement imbibées d'eau. Il avait une cravate autour du cou, déchirée, et sa tête était couchée sur le côté, une joue bleuie légèrement enfoncée dans l'eau. La cravate n'était pas nouée autour de son cou comme un noeud habituel de cravate, mais flottait librement autour de ses épaules, comme une écharpe, et des traces rouges apparaissaient à la base de son cou, de faibles mais indiscutables traces de strangulation, de sorte que Biaggi avait dû être étranglé avec cette cravate une nuit qu'il se trouvait sur la jetée du port selon toute vraisemblance, Biaggi avait été étranglé avec cette cravate une de ces nuits dernières sur la jetée du port par quelqu'un qui avait dû le rejoindre pendant la nuit sur la jetée, quelqu'un qui l'avait rejoint cette nuit-là sur la jetée du port et qui s'était approché de lui par derrière sous le même clair de lune toutes les nuits identique, toujours le même exactement, avec les mêmes nuages noirs qui glissaient dans le ciel, et qui lui avait passé sa cravate autour du cou, sa propre cravate qu'il n'avait pas enlevée et qui était toujours nouée au col de sa chemise, et qu'il qui qui avait commencé à serrer alors, tandis que les mains de Biaggi s'ac- crochaient à ses poignets pour le faire lâcher prise, mais qu'il n'avait