Transcription de LRT_02_01_00422 Jean-Philippe Toussaint Transcripteur Wellington

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Laboratoire Litt&Arts Brouillons de La Réticence Jean-Philippe Toussaint
II, 422

vin, je ramassai le journal plié en deux qui dépassait du carton et l'ouvrissur la table, me rendant compte que c'était Le Monde d'aujourd'hui.

Celui qui, mis en vente hier après-midi à Paris, n'était en réalité dis-ponible ici que demain matin. Aussitôt, je sortis le télégramme de ma pocheet le lus dans la cuisine. Veuillez me rappeler au (16.1.) 47.31.37.87. Pierre.

J'avais gagné le salon, et je me tenais assis dans l'obscurité dans ungros canapé en cuir, le télégramme à la main et le téléphone posé à côtéde moi sur le siège dans un renfoncement du coussin. En face de moi s'étendaitla baie vitrée, dont les vitres étaient très sombres, presque opaques, der-rière lesquelles le rideau métallique était baissé qui ne laissait pénétrerpratiquement aucune lumière dans la pièce. Une petite désserte se trouvaità côté du bras du canapé, avec des bouteilles d'alcool rangées dans les diverscompartiments, tandis qu'un poste de télévision, noir et élégant, reposaitsur un socle à roulettes contre le mur, avec un magnétoscope rangé sur l'éta-gère du bas. J'ignorais qui pouvait être ce Pierre, mais j'avais pris ladécision de lui téléphoner. Je décrochai le téléphone le plus doucementpossible, et commençai à composer le numéro, sentant comme une infime réticencede l'appareil à chaque numéro que je formais sur le cadran. Bientôt, j'en-tendis une tonalité rapide qui semblait chercher une connexion dans la nuit,puis la sonnerie se stabilisa, lourde et régulière, et cela sonna une pre-mière fois, puis une deuxième, avant que, dans le noir le plus complet, j'entendisse décrocher. Que dire ? Fallait-il dire qu'il était arrivé quelquechose à Biaggi ? Dire qu'il était arrivé quelque chose à Biaggi  - au risquede le voir entrer dans le salon d'un instant à l'autre ? Car Biaggi m'avaitpeut-être entendu composer le numéro et il se pouvait très bien qu'il soitdescendu au rez-de-chaussée, et qu'il se tenait là maintenant, derrière laporte du salon. Il y eut un moment de silence, puis un répondeur se déclenchaet j'entendis une voix de femme anonyme de l'autre côté de la ligne quiinvitait à laisser un message pour le compte d'une société, la société Pertal,dont les bureaux devaient être vides à cette heure-ci. Je raccrochai sans