Transcription de LRT_02_01_00446 Jean-Philippe Toussaint Transcripteur Radorakoto

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Laboratoire Litt&Arts Brouillons de La Réticence Jean-Philippe Toussaint

était toujours là, qui continuait de dériver très lentement dans le portle poil noir et mouillé de son dos luisant sous les derniers rayons dusoleil. Il avait dû aller et venir ainsi toute la journée dans le mêmepérimètre réduit, butant mollement contre la paroi d'une coque et repartant à la dérive entre les barques sans jamais s'éloigner vers le large. Sesmoustaches étaient encore dressées à la verticale, raides et pathétiques,et, hors de sa gueule, émergeant à peine de l'eau et complètement désa-grégée à présent, décarcassée et les yeux arrachés, pendait la tête depoisson décomposée dont les restes épars demeuraient accrochés au fragmentde fil de pêche. La première idée qui m'était venue en réalité, ce matin,quand j'avais découvert le cadavre dans le port, était que cette tête depoissons décomposée qui pendait hors de sa gueule était ce qui restait d'unappât de ligne morte qui était revenu flotter à proximité du bord de lajetée de sorte que le chat était tombé accidentellement dans le port envoulant s'en emparer. A première vue, en effet, rien ne pouvait mettreen doute qu'il se fût agi d'un accident, et si plusieurs choses me parurenttroublantes par la suite, tout laissait me semblait-il à penser que lorsque j'avais dévouvert le cadavre du chat dans le port, c'était la première fois que je le voyais. Car je n'avais évidemment jamais vu ce chat aupara-vant, selon toute vraisemblance - une seule fois peut-être, mais sans doutesans témoin, qui se promenait dans le port à la tombée de la nuit et quis'était enfui dès que j'avais tenté de l'approcher. 

C'était la veille, ou l'avant-veille peut-être, peu après le coucherdu soleil, et je me trouvais tout seul sur la jetée, allongé dans la pénombreet la tête penchée au-dessus de l'eau des eaux lisses et paisibles du portqui ondulait faiblement dans l'obscurité,occupé à guetter un crabe qui s'était réfugié dans une anfractuosité de laparoi. J'avais un petit chiffon à la main pour me protéger les doigts deses pinces, et de l'autre, je tenais un petit couteau rouillé que j'avaisramassé non loin de là sur le quait et dont j'appuyais le plat de la lamesans relâche contre la carapace du crabe pour tâcher de le déloger. Celadurait depuis un certain temps déjà, et je serais certainement venu à bout