Transcription de LRT_02_01_00582 Jean-Philippe Toussaint Gestionnaire brigittefc

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Laboratoire Litt&Arts Brouillons de La Réticence Jean-Philippe Toussaint
II, 582

de l'île de Sasuelo balayait par intermittence la petite jetée de pierreset disparaissait aussitôt dans la nuit, filant déjà au loin sur la mer. Je m'étais avancé sur le quai en silence, les deux mains enfoncées dansles poches, et je regardais le chat mort qui flottait dans l'obscurité àquelques mètres du bord. La lumière du phare revenait éclairer le cadavreà intervalles réguliers, et à chacun de ses passages surgissait dans lalumière sa gueule horriblement ouverte et crispée qui se fixait sous mesyeux le temps d'un éclair. Cela durait à peine un instant, et déjà la jetéeétait replongée dans l'obscurité la plus complète.

Je n'avais pas souvenir en réalité d'avoir jamais vu la gueule du chat ainsi ouverte,et cela m'intriguait d'autant plus que si quelqu'un s'était rendu dans leport la nuit dernière pour faire disparaître de sa gueule le fragment defil de pêche, il avait dû approcher le cadavre avec une barque et l'avaitaccosté sous le même clair de lune que celui de cette nuit, — le même exacte-ment, avec les mêmes nuages noirs qui glissaient dans le ciel — son halo, avant dese pencher prudemment hors de l'embarcation pour saisir par la nuque lecorps lourd et ( mouillé dégoulinant d'eau de) l'animal — son corps dégoulinant d'eau qui pendait dans le noir — pour tirer d'un coup sec surle fil qui pendait hors de sa gueule, de sorte que maintenant la bouche duchat devait présenter différentes traces de mutilation, selon toute vraisem-blanceme semblait-il, l'hameçon en se décrochant ayant dûdéchirer son lui déchirer le palais et abîmerses lèvres. Et c'est précisément en m'accroupissant au bord de la jetéeque  pour vérifier cette hypothèse que de la poche intérieure de mon manteauglissèrent tout à la fois dans l'eau mon passeport et les quatre lettres quej'avais prises quelques jours plus tôt dans la boîte aux lettres des Biaggiet dont j'avais presque oublié l'existence. Je tendis le bras immédiatementpour les repêcher, mais ne parvins qu'à m'emparer de mon passeport et detrois lettres, la dernière lettre s'éloignant déjà du bord, portée par lecourant qui l'emportait lentement, dans les eaux noires du port. Je tournaila tête de tous côtés sur la jetée à la recherche de quelque long bâton quim'eût aidé à la récupérer, mais ne trouvai qu'une petite épuisette, bientrop courte, qui, malgré mes efforts, ne me permit pas de l'atteindre. J'aban-