Transcription de LRT_01_01_00338 Jean-Philippe Toussaint Gestionnaire brigittefc

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Laboratoire Litt&Arts Brouillons de La Réticence Jean-Philippe Toussaint
I, 338

Ce matin, il y avait un chat mort dans le port, un chat noir qui flottait à la surface de l'eau, il était droit et raide, et il dérivait lentement le long d'une barque. Hors de sa gueule pendait une tête de poisson déjà décomposée dont dépassait un fil de pêche cassé d'une longueur de deux ou trois centimètres. Je restai quelques instants sur la jetée à regarder flotter le chat, imaginant que la tête du poisson était ce qui restait d'un appât de ligne morte, le chat avait dû se pencher dans l'eau pour attraper le poisson et, au moment de s'en saisir, l'hameçon accroché dans la gueule, il avait perdu l'équilibre et était tombé.

L'eau du port était très transparente à l'endroit où je me trouvais, et de temps en temps passait sous mes yeux un cortège silencieux de poissons, des labres ou des mulets, tandis que tout au fond, parmi les algues et les cailloux, des myriades grouillantes d'alevins s'acharnaient sur le cadavre éventré d'une murène en décomposition. Avant de repartir, je m'attardai encore un instant sur la jetée à regarder le chat mort, qui continuait de dériver dans le port, dans un très lent mouvement de va et vient, tantôt vers la gauche, tantôt vers la droite, suivant le flux et le reflux imperceptible du courant à la surface de l'eau.

J'étais arrivé à Sasuelo à la fin du mois d'octobre. C'était déjà le début de l'hiver, et la saison touristique touchait à sa fin. Un taxi m'avait déposé un matin sur la place du village, avec mes valises et mes sacs. Le chauffeur m'avait aidé à détacher la poussette de mon fils de la galerie de la voiture, un vieux diesel dont il n'avait pas coupé le