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Chapitre
ENFIN FEMINISTE
Quand j’ai vu ce tir groupé, j’ai compris pourquoi Yvette Roudy m’avait demandé de présider cette commission. J’étais lancée dans les médias à cette époque ; Ainsi soit-elle n’étais pas loin, et elle pensait que je trouverais facilement une tribune pour répondre à nos détracteurs. Plus facilement en tout cas que telle linguiste, même remarquable, enseignant dans une université de province. Convaincue de la nécessité de faire quelque chose, j’ai accepté d’embarquer sur cette galère. Car c’en était une. Mais j’étais enchantée car cette aventure allait confirmer que les comportements misogynes n’avaient pas changé, même s’ils s’exprimaient d’une manière plus subtile, ce qui justifiait tous les ressentiments que je nourrissais contre les hommes en général et les hommes de pouvoir en particulier... Simplement, ils sont, ou non, en position de nous nuire. Ces hommes de pouvoir qui jamais, JAMAIS, n’ont accepté de bon coeur les avancées des femmes. Il a fallu arracher chaque droit.
Josyane - Le déchaînement de misogynie grivoise et imbécile que vous décrivez montre bien qu’on est dans une lutte dont la portée symbolique est très forte. Ce que je voudrais comprendre, c’est pourquoi tant de femmes, à commencer par moi, n’ont pas perçu l’importance de cette symbolique, pourquoi certaines se sont même mises du côté des rieurs, bref, pourquoi les femmes, une fois de plus, se laissent faire ?
Benoîte - C’est ça, la grande question... Elle se posait déjà hier. Celles qui se récrient aujourd’hui devant la féminisation sont les dignes filles de celles qui s’opposaient hier à leur propre droit de vote ! Les hommes, on les comprend, ils défendent leur bout de gras ; mais que les femmes marchent à ce point, c’est accablant.
Josyane - Croyez-vous que ce soit pour aller dans le sens des hommes, que ce soit un consentement de plus au désir des hommes, ou pire, un geste d’agression envers les autres femmes ?
Benoîte - Non, je crois tout simplement que les femmes privilégient leurs relations avec les hommes. Les Françaises privilégient toujours l’homme ! Le résultat, c’est que nous ne vivons pas ici la guerre des sexes qu’on trouve en Amérique, par exemple. Les relations hommes-femmes restent civilisées, marquées de ce qui reste de la « galanterie à la française », mais ce n’est qu’au prix d’un abandon de notre combativité. Cela dit, je crois au dynamisme du langage et je suis convaincue que dans dix ans, on trouvera ridicules les femmes qui continueront à se dire « Mme le ».
Josyane - Pensez-vous vraiment qu’il y a lieu d’être aussi optimiste ?
Benoîte - Je le vois déjà apparaître. Dans la presse, on lit de plus en plus souvent « la juge ». En tout cas quand il s’agit de tribunaux pour enfants, on dit « la juge ». Et dans la presse de gauche <>on lit couramment la ministre, la secrétaire d’Etat. Et dans le gouvernement Jospin, toutes les femmes s’étaient désignées au féminin. Guigou, Aubry etc