Transcription de LRT_06_02_00012 Jean-Philippe Toussaint Transcripteur ZHANG Yuxian Gestionnaire brigittefc

Transcription effectuée sur la plateforme TACT: http://tact.demarre-shs.fr/ État de la fiche sur TACT : Terminée

Laboratoire Litt&Arts Brouillons de La Réticence Jean-Philippe Toussaint
VI ② 12

jouant avec quelque morceau de pain que je lui avais donné pour s'occuper les doigts. Parmi les autres clients du restaurant, j'avais reconnu dès qu'ilétait entré l'homme qui était assis ce matin au volant de sa voiture devantla capitainerie du port. Je ne savais pas s'il avait réussi à résoudre sonproblème, mais il venait de prendre place à une table juste en face de moi,accompagné de trois dames blondes qui devaient avoir le même coiffeur, toutes trois très convenables et ayant été jeunes, souriantes et amies, qui seprenaient familièrement l'avant-bras par dessus la table dans un tintementde bracelets et se faisaient expliquer le menu par le patron qu'elles semblaientconnaître de longue date et qu'elles appelaient par son prénom, appelantGeorges non seulement le patron d'ailleurs, mais aussi l'homme de la voiture,qui, impassible sur sa chaise derrière ses lunettes à verres teintées, inter-venait parfois dans la conversation pour refuter avec constance toutes lessuggestions qui pouvaient lui être faites sur le choix de l'entrée. Il était vêtu d'un élégant costume gris avec un gilet assorti qui lui compressait unpeu l'abdomen, un pouce négligemment enfoncé sous le vêtement pour allégerla pression du tissu, et il mâchouillait un cigare en étudiant la carted'un regard las. Curieusement, alors que le patron attendait toujours à côtéde lui qu'il se décide à faire son choix, il  reposa la carte sur la table et se pencha malicieusement sur le côté pour effectuer un bref pianotementdes doigts à l'adresse de mon fils. Encouragés par son exemple et ne voulantsans doute pas être en reste, le patron et les trois dames se tournèrenteux aussi vers notre table et se mirent à nous adresser des petits coucousà distance, auxquels, un peu pris de court et la bouche pleine, je répondispar un sourire mal à l'aise en m'essuyant la bouche avec ma serviette,  tandisque mon fils, assez imperturbable à l'égard des deux Georges, commença à faire du charme aux dames avec un culot qui me scia de la part d'un aussi petit roupignoulet.

Après le déjeuner, j'allai faire une promenade sur le port en attendantle retour du taxi qui ne devait venir me reprendre à Santagralo que vers