Transcription de LRT_06_02_00013 Jean-Philippe Toussaint Transcripteur ZHANG Yuxian Gestionnaire brigittefc

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Laboratoire Litt&Arts Brouillons de La Réticence Jean-Philippe Toussaint
VI ② 13

trois heures et demie. Je m'étais assis sur une borne d'acier au bout de la jetée, et je demeurais là à côté de la poussette de mon fils à regarder un pêcheur préparer des palangres debout dans le fond de son bateau. Un poulpe affaissé, violacé et rose, reposait à ses pieds, et il le ramassait de temps à autre comme un vieux torchon pour en couper un fragment avec un petit couteau, gardant le couteau entre ses lèvres le temps d'appâter son hameçon. Chacune de ses palangres comptait une vingtaine d'hameçons environ, qui étaient répartis en rang d'oignons tout au long de la ligne, et, chaque fois qu'il coupait un nouveau morceau d'appât, relâchant le poulpe sans ménagement qui retombait dans le fond de la barque en produisant un flop spongieux, il enfonçait immédiatement le nouveau fragment de poulpe ainsi découpé dans le crochet d'un des hameçons resté libre et remplissait ainsi sa ligne au fur et à mesure d'un geste toujours sûr et précis. Je m'étais levé de la borne pour m'approcher du bord du quai, et je continuais de le  regarder faire debout devant son bateau. Il avait presque fini maintenant, trois de ses palangres au moins étaient prêtes, qui étaient alignées avec soin au fond de la barque et qui se présentaient sous la forme de longues guirlandes de petits fragments de poulpe blanc et rose alignées avec soin qui reposaient au fond de la barquefixés à des hameçons tout au long de la ligne. Vous allez pêcher maintenant? lui demandai-je. Il ne répondit pas tout de suite, acheva d'appâter un de ses hameçons. Demain, finit-il par dire sans me regarder, et notre conversation s'en tint là, qui avait fait le tour de la question, somme toute : il irait pêcher demain, si je voulais le savoir (et, fort de cette information, je regagnai la place du village pour attendre le taxi).

Il faisait très gris sur le village, et une pluie fine s'était mise à tomber, un crachin régulier et désagréable qui flottait dans l'atmosphère  et imprégnait les vêtement d'humidité. Mon fils s'était endormi dans sa  poussette, son petit anorak bleu bien fermé autour de sa poitrine, et je regardais le sac en plastique qui contenait les provisions que j'avais achetées ce matin qui était tristement accroché à une des poignées de la poussette. Le sachet était déjà entièrement recouvert d'une mince pellicule de pluie,