Transcription de 31AF19_001_06_02_005 Transcripteur joelyne

Transcription effectuée sur la plateforme TACT: http://tact.demarre-shs.fr/ Etat de la fiche sur TACT : Transcription en relecture

Laboratoire Litt&Arts

Texte transcrit

- 4 - <hi rend="underline black">Rosie GROULT</hi>

J'avais vraiment une mère magnifique.

Ou bien je n'ai pas su être à mon tour une mèremagnifique, ou le moule des petites filles modèless'était perdu : je n'ai obtenu d'aucune de mes trois fillescette soumission de larve où n'a couvé, hélas, aucunerévolte avant un âge avancé.

Ma mère, impavide, œuvrait pour mon bien. Com-ment refuser le bien ? Elle ne pouvait qu'avoir raison.Elle était belle, avec de grands yeux bleus un peu fixescomme les miens. « Les yeux de vache des Poiret ! »,disait mon père, qui avait les yeux en boutons de bot-tien. Impeccablement, mais trop maquillée, commesouvent les « jolies femmes » de ce temps-là, surtoutquand elles travaillaient dans la mode ; jamais maladeet partant chaque matin à la conquête du monde, lesongles rouges, de grosses bagues aux doigts, une coif-fure courte et crantée, rectifiée chaque jour au fer à fri-ser que j'entendais cliqueter dans la salle de bainsquand elle l'enlevait de son support où brûlait unetablette d'alcool Meta.

Elle n'aimait que la ville, à condition qu'elle soitcapitale ; détestait la Bretagne, les maisons de cam-pagne, les chaussures de sport ; ne nageait pas et nesavait pas conduire ; n'était heureuse qu'en dessinantdes modèles pour sa maison de couture, ou entouréed'artistes et d'écrivains qui venaient à la maison pourdéguster l'insolence de Nicole et les gigots en croûted'André. La nuit, je la surprenais souvent à écrire à sesnombreux « amoureux », de sa belle écriture en guir-lande, d'une force et d'une régularité saisissantes, ellequi avait appris à écrire chez les Sœurs, de cette gra-phie penchée aux majuscules contournées qu'on impo-sait à toutes les jeunes filles de ce temps-là. Née MariePoiret, en 1887, elle décida de devenir Nicole Groult,lors de son mariage en 1907. En changeant d'état civil,elle voulut changer du même coup d'écriture, de style etd'ambitions.

Je ne savais pas encore que j'allais faire la même chose àvingt ans. Sauf pour l'écriture, j'ai toujours eu le même que mamère... et pour les ambitions... les siennes me bouchaient l'horizon.Restait le prénom, c'était un début. En attendant, il fallait luiressembler ou ne pas être. Alors je n'étais pas...

A qui d'autre souhaiter ressembler en effet ?Dans le salon de Nicole, j'apercevais ldes femmes d'artistes oud'écrivains. Elles me paraissaient redoutables. Toutes un peusorcières comme Elise Jouhandeau, vêtues de robes amples auxcouleurs violentes, portant la frange et des cheveux courts, parlantfort et ne lâchant pas d'une semelle leurs grands hommes.Et aussi Marie Laurencin, ma marraine, qui me scrutaitchaque fois ????? derrière son face à main de myope comme si elle nem'avait jamais vue et que j'étais un insecte inconnu etvaguement répugnant.

Et puis dans le monde extérieur, il y avait lesdames normales, les mères de mes amies de classe. Ellesparlaient des chignons, se chaussaient de Richelieus à talons