<LA PAUVRE ZAZATE>
colère, ni au désir de faire mal, mais au besoin légitime, <n'est ce pas,>
de montrer qui restait le chef dans le ménage. La scène
se passait à <Port-Manech>, chez "les <Paul>" justement,
au cours d'un dîner réunissant une dizaine d'amis.
<Georges> était rentré du <Groenland> depuis un mois et
avait oublié à quel point sa femme pouvait être...
emmerdante quand elle croyait avoir raison. Il s'agis-
sait du cheval de <Caligula>, ou de quelque autre détail
concernant un empereur romain, et elle la ramenait un
peu trop avec ses compétences historiques.
<"Ah, pas de bas-bleuisme en vacances, je t'en
prie ! " lui avait conseillé <Georges>, agacé.
Au lieu de s'écraser, elle prit feu. <Georges> aussi. Il
s'était alors levé de table, et lui aviat assené une vraie
gifle, devant les invités sidérés. Sur le moment, elle ne
réagit pas, hésitant entre l'éclat de rire nerveux, les
larmes ou l'insulte. Avant qu'elle ne se fût décidée, il
avait quitté la table sans un mot, sous l'empire d'une
colère que la honte submergeait peu à peu et qui lui
déformait le visage.>
<Il ne rentra qu'au petit matin, à l'heure où les gestes
tiennent lieu de paroles. Et le lendemain, tu n'osas pas
évoquer l'incident. Tu craignais trop sans doute, en
tirant un fil, de voir se détricoter tout ton mariage.>
<Je me demande aujourd'hui, ma pauvre <Zazate>,
comment cette gifle qui, sur le moment, te ferma la
bouche, ne t'ouvrit pas les yeux ? Te restait, chevillée au
coeur, ta volonté d'être heureuse, qu'un geste mal-
heureux ne suffisait pas à désarçonner. Et puis les
corps ne renoncent pas en un jour à leurs douces
habitudes, les odeurs restent familières, les mots
continuent à se dire, portés par le courant. Il faut du
temps pour que les gestes et les paroles qui
composent l'ordinaire d'un couple tombent en déshé-
rence.<Je ne suis pas du tout rancunière.>> "Mais la légère meurtrissure
Mordant le cristal chaque jour
D'une marche invisible et sûre...