Transcription de LRT_06_02_00046 Jean-Philippe Toussaint Gestionnaire brigittefc

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Laboratoire Litt&Arts Brouillons de La Réticence Jean-Philippe Toussaint
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jour depuis mon arrivée en réalité, et l'image que la maison présentait d'elle maintenant était bien différente de celle que je connaissais d'elle d'un précédent séjour, ensoleillée, avec un ciel uniformément bleu et limpide que l'on apercevait entre les hautes cimes  branches des pins et des palmiers. L'herbe était alors sèche, rase, brûlée de soleil dans le parc, et de la musique classique s'échappait parfois de la grande baie vitrée du rez-de-chaussée qui était ouverte en permanence sur la terrasse, tandis qu'à l'intérieur de la maison se devinaient les profondeurs ombrées du salon, fraîches et accueillantes, avec le profil des rayons de la bibliothèque qui se dessinaient au loin le long des murs, un parasol tout blanc ouvert sur la terrasse et les taches de couleur des maillots de bain et des serviettes de plage qui séchaient au soleil sur le dossier des sièges.

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La villa des Biaggi était silencieuse et fermée maintenant, qui s'étendait dans la brume derrière les grilles de la propriété, et je me tenais devant la porte, seul apparemment sur la route avec mon fils à côté de moi dans sa poussette. J'avais sorti de ma poche les trois lettres adressées aux Biaggi que j'avais toujours en ma possession, et je constatai en les examinant rapidement que le bref séjour qu'elles avaient fait dans l'eau la nuit dernière ne les avait pratiquement pas abîmées. On voyait certes qu'elles avaient été mouillées, le papier était comme légèrement crêpé et boursoufflé par endroits et l'encre qui avait servi à rédiger les adresses avait un peu bavé sur les enveloppes, mais elles étaient encore tout à fait présentables, me semblait-il, suffisamment en tout cas pour pouvoir être remises en l'état dans la boîte aux lettres des Biaggi sans que personne ne pût jamais soupçonner qu'elles n'y étaient pas restées en permanence depuis que le facteur les y avait déposées, et, au moment précis où j'allais les glisser dans la boîte pour les restituer — car je souhaitais m'en défaire au plus vite maintenant — ma main s'immobilisa et je ressentis ce léger frisson d'angoisse passagère que j'éprouvais toujours au moment de devoir lâcher du courrier dans une boîte —, pendant cette seconde durant laquelle je relisais toujours mentalement le courrier que je venais d'écrire, me remémorant toutes les tournures de phrases que j'avais employées et m'in-