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D'ailleurs quand j'ai publié en 98 Les Vaisseaux du coeur, l'histoire d'une passion entre un marin breton et une intellectuelle parisienne, je me souviens que Bernard Pivot dans Apostrophes m'a dit : "votre livre, c'est un hymne au phallus ! OUF ! Le féminisme, c'est terminé !" Comme si être féministe, c'était faire voeu de chasteté et renoncer au plaisir !

Il ajoutait : "Dites donc, B.G., vous décrivez l'amour en termes vraiment très crus.. Qu'est-ce que P.G., votre mari, va dire ?" (on retombe tjrs sur le problème des MOTS POUR LE DIRE !

Extraordinaire que la littérature reste pour une femme subordonnée à l'opinion et au jugement d'un époux ! D'ailleur Pivot ne le pensait pas sérieusement mais il a toujours fait semblant de se scandaliser des libertés que prenaient les femmes. Et je me suis aperçue alors que les mots n'avaient pas le même poids utilisés par un homme ou par une femme ! On crie très vite à la pornographie ou à l'obscénité quand il s'agit d'une romancière. En fait, le langage n'est jamais neutre ou innocent. Il est le miroir d'une société dont il reflète les préjugés, les fantasmes et les tabous. Il joue donc un rôle essentiel dans la formation d'une identité, qu'elle soit nationale, culturelle ou sexuelle. Il sert à perpétuer les hiérarchies sociales et à signaler la place de chaque groupe.

Comment les femmes parlent, comment on leur parle, comment on parle d'elles, tout cela joue un rôle dans l'image que la société se fait d'elles et, plus encore, qu'elles se font d'elles-mêmes.

Cette importance du langage, les Grands Conquérants du passé ne s'y étaient pas trompés : un des moyens de domination des peuples vainqueurs consistait à interdire aux vaincus de parler leur langue, ce qui les dépossédait d'un signe essentiel de leur identité, c-à-d. de leur âme

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Benoîte Groult
Contributeurs (1)
Rhesusnegatif