Josyane - Peut-être, mais quand même... Quand je suis entrée dans ce journal, je n’étais rien dans la hiérarchie. Avec des hommes comme Jacques Fauvert, Bernard Lauzanne ou André Fontaine, qui sont vraiment d’une autre génération, je ne me suis jamais sentie méprisée comme je me sens méprisée aujourd’hui par des types de mon âge.

Benoîte - C’est une réaction de défense. Quand les animaux ont peur, ils mordent. Les hommes sont en crise d’identité et ils ne savent (pas?) comment manœuvrer face à des jeunes femmes aussi compétentes qu’eux et qui utilisent leurs armes mais avec un autre type de munitions, une autre façon de tirer... C’est la panique, parfois la haine.

Josyane - Alors on fait quoi ?

Benoîte - Et bien, il y a une génération...

Josyane - Sacrifiée ? C’est moi ? Merci bien !

Benoîte - C’est la première ligne, celle qui sort des tranchées et se trouve à découvert en rase campagne. Nous étions toutes à l’abri, finalement ; protégées, assistées et tout à coup, nous sommes exposées... Il y a des pertes obligatoirement. Il est dur de dire ça, alors que je suis bien tranquille dans mon coin. Je fais partie d’une génération qui a eu peur et qui n’a pas fait peur ! Et puis, mon seul ennemi à moi, c’est le papier blanc... Vous, vous êtes en pleine mêlée, et dans un métier qui symbolise le pouvoir, l’influence. Tout est à apprendre sur le terrain, la combativité, la ruse, l’insensibilité aux injures, aux coups.

Josyane - Et apprendre à accepter l’erreur, l’échec, sans remettre en cause l’ensemble des femmes.

Benoîte - Oui, ça c’est important. Parce que les erreurs des femmes politiques, notamment, sont exploitées contre toutes les femmes avec une satisfaction perverse. Imaginez qu’Edith Cresson ait vendu Thomson Multimédia un franc, à la Corée 1 ! On les entend d’ici, nos hommes politiques, répéter à l’envi qu’une femme ne comprend rien à l’électronique et brade le patrimoine par incompétence... De toute façon, il fallait la massacrer, elle avait pénétré le périmètre sacré. Malgré leur cruauté, d’ailleurs, il leur a fallu du temps pour l’abattre. Mitterrand l’a longtemps défendue contre la plupart de ses amis politiques, et elle, elle n’a pas craqué.

Josyane - C’est peut-être l’aspect réconfortant : les femmes se laissent moins impressionner. Il y a des pertes, comme vous disiez, mais dans l’ensemble on avance, malgré la mitraille.

1 Allusion au projet de vente de Thomson à Daewoo approuvé par Alain Juppé mais rejeté par l’ensemble du groupe.