- 3 7 (écrit l’un sur l’autre) -Chapitre VIIIENFIN FEMINISTE
Josyane - Si, comme vous le constatez, « c’est l’usage qui tranche », à quoi bon légiférer, comment penser qu’une loi, non acceptée, non « intégrée » socialement, modifiera l’usage ?
Benoîte - Mais qu’est-ce que vous croyez que ça fait une grammaire ? Ça dit le bon et le mauvais usage. Et je vous rappelle que l’Académie française a essayé désespérément de légiférer ! Il fallait au moins contrer ses positions tout à fait misogynes. « Pour réformer le vocabulaire des métiers, conseillait-elle, et mettre les hommes et les femmes sur un pied d’égalité (sic!), on devrait éviter le féminin dans tous les cas non consacrés par l’usage. Chaque fois que le choix reste ouvert, il faut préférer le genre non marqué. »
Formulation admirable ! Ne pouvant interdire les féminins déjà usuels, du moins prenait-on toutes les dispositions pour qu’il ne s’en crée pas de nouveaux ! Au nom de quoi devrait-on « préférer le masculin », sinon pour satisfaire le phallocentrisme de quarante messieurs-dame qui, soit dit en passant, ne comptent pas de linguistes dans leurs rangs depuis la mort de Roger Caillois, et en tout cas beaucoup moins de grammairiens et de grammairiennes que notre commission ! Nous ne demandions d’ailleurs pas de préférer le féminin, ce qui serait ridicule, mais simplement de l’appliquer aux femmes, ce qui serait logique. Alors on prétend que la langue évolue d’elle-même et qu’il ne sert à rien de faire des recommandations. Mais c’est complètement faux, surtout dans notre pays. Depuis Vaugelas, et même avant, la langue française n’a cessé d’être codifiée, rectifiée, rappelée à l’ordre ! Les Français ont un rapport très particulier, très passionnel avec leur langue. Son histoire a commencé avec la fameuse Ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539, où François Ier décide que le français doit remplacer le latin et tous les autres dialectes du territoire dans tous les textes administratifs et officiels. Il fonde ce qui deviendra notre Collège de France où, contre l’influence de l’Eglise qui pratiquait le latin, les maîtres enseigneront en français. On trouve parfois de ces coïncidences émouvantes : le roi François Ier donnant ses lettres de noblesse au « françois », comme on appelait alors le français !
Et puis il y eut La Défense et Illustration de la langue française, de Joachim du Bellay, en 1549, et puis les grammaires commencèrent à se multiplier. La langue devint une affaire d’Etat. Richelieu fonde l’Académie française pour élaborer un Dictionnaire sous l’autorité de Vaugelas ; puis Furetière, pas d’accord, en élabore un autre, en rupture avec les principes rigides de l’Académie. Déjà ! Puis, en 1660, c’est la Grammaire de Port-Royal... La France croule sous les dictionnaires et les grammaires. Nous sommes le pays du monde qui a publié le plus d’édits, de directives, de manuels du bon usage. Nous sommes aussi le pays qui respecte tant sa langue qu’il se sent coupable s’il y change un iota ! Même si nous le pratiquons mal, nous sommes tous amoureux du « bon français »...
Dans son passionnant livre, le Français dans tous ses sens, Henriette Walter rapporte qu’il arrivait même à Coluche de s’excuser d’employer du « mauvais fran-