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HISTOIRE D'UNE MON EVASION

<connaissance qui eût réussi par son travail, sans le secours d'un homme. Elle gagnait bien sa vie, c'est à dire la nôtre. Elle fut aimée tout au long de son existence par son mari et les admirateurs ne lui manquèrent pas, ni les amoureuses. Jusqu'à un âge avancé, elle sut rester mince et belle. Elle avait perdu une petite fille de dix-huit mois, son deuxième enfant, mais au lieu de sombrer dans l'abattement, elle en avait mis une autre au monde dix mois après. En ce temps-là, comme aujourd'hui d'ailleurs, il était rare qu'une femme réussît ainsi sur tous les plans. On ne le lui pardonnait pas dans nos milieux bourgeois. On aurait aimé qu'elle fût punie... quelque part. "C'est une excentrique !", disaient mes tantes avec une moue réprobatrice. "Tâchez de n'avoir pas mauvais genre comme votre mère", nous avertissait périodiquement grand-mère, qui pesait cent kilos et s'habillait toujours en noir depuis la mort de son fils aîné à Verdun. >

<Je n'avais pas le courage d'être une excentrique. Ni les capacités. >

<Et je n'avais de secours à attendre de personne et encore moins de mes lectures. Plus je lisais, au contraire, plus m'apparaissait cette évidence qu'il n'existait pas d'avenir indépendant pour les filles. Je n'avais pas même le soupçon qu'une Virginia Woolf pût exister. Une chambre à soi, écrit en 1929, ne sera traduit en français qu'en 19511 ! J'ignorais tout bien sûr d'une Marie Wollstonecraft, d'une Olympe de Gouges, d'une Flora Tristan, d'une Louise Weiss. Simone de Beauvoir n'allait écrire que cinq ou six ans plus tard, et je n'ai pas dû prononcer le mot "féminisme" avant d'avoir vingt-cinq ou trente ans. Et sans mot pour le dire, comment concevoir la chose ? Ma mère se moquait bien du droit de vote et de la politique en général. Elle avait imposé sa personnalité sans avoir besoin de théorie. A moi d'en faire autant. >

<Je vivais en somme dans une sorte d'innocence, mais comme on dit "l'innocent du village". Nous>

1. Par Clara Malraux.
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