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Caunes, l'occasion de montrer qu'il n'était pas « marié-
marié», comme on dit à Tahiti, et que la grande affaire
pour lui restait les copains et son boulot. Mes maniéres
de midinette énamourée et la certitude que l'amour
allait m'ouvrir toutes ses portes secrétes le hérissaient.
J'essayais de prendre sa main, j'attendais de lui quelque
un signe de complicité conjugale, alors que, justement,
il mettait son point d'honnneur à les éviter.
« Calme tes ardeurs, finit-il par me lancer en jouant
les effarouchés pour faire rire la compagnie; on dirait
que c'est la première fois que tu te maries!
— Ce n'est peut-être pas la dernière, méfie-toi! »,
aurais-je dû lui répondre gaiement.
L'idée ne m'a même pas effleurée et je me suis crue
obligée de rire la première. Georges était vraiment
impayable, c'était l'avis général. Maman, qui nous
observe, lit déjà mon avenir dans mes yeux soumis.
C'est foutu, pense-t-elle. Ma pauvre Zazate est partie du
mauvais pied.
Il semble en effet que je n’aie rien retenu de mes
apprentissages américains, de toutes ces leçons parti-
culières où j'avais appris avec délices à me conduire en
femme libre, sûre à de son charme. Paris libéré, les Amé-
ricains repartis envolés, « la pauvre Zazate » était revenue. En
plus, je me soupçonnais d'être déjà enceinte, et cet
enfant clandestin me privait de ma dernière bribe de
liberté, celle qui aide à franchir le pas... Celle qui per-
met la folle pensée que jusqu'au porche de l'église on
pourra encore changer d'avis et s'enfuir, laissant ses
invité sidérés. Cette fois, les jeux étaient faits.
J'avais rencontré Georges quelques mois plus tôt à
la radio, où nous travaillions tous les deux. Il était
grand et mince, avec des yeux couleur de mousse,
comme on les décrit dans les romans d'amour pour
midinettes, justement... Il caracolait déjà dans le pelo-
ton de tête des jeunes journalistes qui allaïent bientôt se
faire un nom. Sa démarche onduleuse, sa désinvolture,
les poils frisés qui dépassaient des poignets de sa che-
mise, ses sourires ironiques, une certaine gaucherie
avec les femmes, me semblaient le comble de Ja séduc-
tion.
« Oui, il est plutôt joli garçon, avait concédé ma-
man; mais il fait province, tu ne trouves pas, André? »
André fit remarquer qu'effectivement Georges était
natif de Toulouse! On ne pouvait demander à tout le
monde d'être né dans Je 7ᵉ! Faire province était un han-
dicap aux yeux de la famille, et le fait que Georges fût
en voie de devenir un brillant journaliste, réputé pour
ses jeux de mots et sa causticité, ne compensait nulle-
ment ses origines. La radio, tout comme la télévision,
lorsqu'elle apparaîtra quelques années plus tard, n’épa-
tait pas du tout les artistes ni la grande bourgeoisie.
Georges, finalement, n'était guère plus à leurs yeux
qu'un bateleur, à peine mieux qu'un camelot qui vend
des cravates sur les marchés grâce à son baratin. Mais
j'avais vingt-six ans tout de même, et Nicole commen-
çait à baisser les bras. Un « poitrinaire » — on évitait le
mot tuberculeux à l'époque -, un poitrinaire mort de
surcroît… et maintenant un camelot qui n'avait pas
*% la pauvre Zazate » était revenue, En
plus, je me Soupçonnais d'être déjà enceinte, et cet
enfant clandestin me privait de ma dernière bribe de
liberté, celle qui aide à franchir le pas... Celle qui per-
met la folle pensée que jusqu'au porche de l'église on
Pourra encore changer d'avis et s'enfuir, laissant ses
marié», comme on dit à Tahiti, et que la grande affaire
pour lui restait les copains et son boulot. Mes maniéres
de midinette énamourée et la certitude que l'amour
allait m'ouvrir toutes ses portes secrétes le hérissaient.
J'essayais de prendre sa main, j'attendais de lui quelque
un signe de complicité conjugale, alors que, justement,
il mettait son point d'honnneur à les éviter.
« Calme tes ardeurs, finit-il par me lancer en jouant
les effarouchés pour faire rire la compagnie; on dirait
que c'est la première fois que tu te maries!
— Ce n'est peut-être pas la dernière, méfie-toi! »,
aurais-je dû lui répondre gaiement.
L'idée ne m'a même pas effleurée et je me suis crue
obligée de rire la première. Georges était vraiment
impayable, c'était l'avis général. Maman, qui nous
observe, lit déjà mon avenir dans mes yeux soumis.
C'est foutu, pense-t-elle. Ma pauvre Zazate est partie du
mauvais pied.
Il semble en effet que je n’aie rien retenu de mes
apprentissages américains, de toutes ces leçons parti-
culières où j'avais appris avec délices à me conduire en
femme libre, sûre à de son charme. Paris libéré, les Amé-
ricains repartis envolés, « la pauvre Zazate » était revenue. En
plus, je me soupçonnais d'être déjà enceinte, et cet
enfant clandestin me privait de ma dernière bribe de
liberté, celle qui aide à franchir le pas... Celle qui per-
met la folle pensée que jusqu'au porche de l'église on
pourra encore changer d'avis et s'enfuir, laissant ses
invité sidérés. Cette fois, les jeux étaient faits.
J'avais rencontré Georges quelques mois plus tôt à
la radio, où nous travaillions tous les deux. Il était
grand et mince, avec des yeux couleur de mousse,
comme on les décrit dans les romans d'amour pour
midinettes, justement... Il caracolait déjà dans le pelo-
ton de tête des jeunes journalistes qui allaïent bientôt se
faire un nom. Sa démarche onduleuse, sa désinvolture,
les poils frisés qui dépassaient des poignets de sa che-
mise, ses sourires ironiques, une certaine gaucherie
avec les femmes, me semblaient le comble de Ja séduc-
tion.
« Oui, il est plutôt joli garçon, avait concédé ma-
man; mais il fait province, tu ne trouves pas, André? »
André fit remarquer qu'effectivement Georges était
natif de Toulouse! On ne pouvait demander à tout le
monde d'être né dans Je 7ᵉ! Faire province était un han-
dicap aux yeux de la famille, et le fait que Georges fût
en voie de devenir un brillant journaliste, réputé pour
ses jeux de mots et sa causticité, ne compensait nulle-
ment ses origines. La radio, tout comme la télévision,
lorsqu'elle apparaîtra quelques années plus tard, n’épa-
tait pas du tout les artistes ni la grande bourgeoisie.
Georges, finalement, n'était guère plus à leurs yeux
qu'un bateleur, à peine mieux qu'un camelot qui vend
des cravates sur les marchés grâce à son baratin. Mais
j'avais vingt-six ans tout de même, et Nicole commen-
çait à baisser les bras. Un « poitrinaire » — on évitait le
mot tuberculeux à l'époque -, un poitrinaire mort de
surcroît… et maintenant un camelot qui n'avait pas
*% la pauvre Zazate » était revenue, En
plus, je me Soupçonnais d'être déjà enceinte, et cet
enfant clandestin me privait de ma dernière bribe de
liberté, celle qui aide à franchir le pas... Celle qui per-
met la folle pensée que jusqu'au porche de l'église on
Pourra encore changer d'avis et s'enfuir, laissant ses
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