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chapitre VI

A mesure que l’absence s’amenuisait, à chaque lettre reçue, le Georges de
mon rêve se diluait comme un brouillard, laissant apparaître les contours rugueux de
mon vrai mari... Sa dernière lettre dissipa l'ultime voile de brume : « J'ai hâte d'être
chez nous, Namour. J'espère trouver la maison belle et les enfants torchés. Et toi
aussi, sois belle, mince, élégante pour recevoir ton homme légitime. Le pauvre
Georges est bien fatigué, il dort mal, et il faudra bien le gâter. De ton côté, tu dois
avoir plein de choses à me raconter, et je te promets d'écouter sagement tes
babillages.. » (Et même si tu n’as pas eu le temps de tout briquer, même si Lorenzo
crie la nuit, même si tu n’as pas encore retrouvée ta minceur d'avant, je ne pense
qu'au moment où je te serrerai dans mes bras. Non, ces lignes-là, je ne les ai pas
reçues. C’est le Georges du brouillard qui me les écrivait. L'autre, le vrai allait me
ramener sur terre).

« Mon retour, vu l'envie que j'ai de toi, chérie, est porteur de dangers que nous ne
connaissons que trop. Et tu ferais bien de prendre des précautions pour éviter qu’une
tuile ne nous arrive. »

Il avait raison, mais quelles précautions sinon les mêmes vieilles recettes qui
avaient fait faillite ? C’est aujourd’hui seulement que m'apparaît l'étendue de son
égoïsme et de mon fatalisme. Comment n’avons-nous pensé ni l’un ni l’autre aux
préservatifs ? Pire, comment expliquer qu'aucun obstétricien ou généraliste ne nous
les ait jamais conseillés pour éviter « les tuiles » justement ? J'étais d'autant plus
inexcusable que j'avais connu les capotes anglaises in situ... Alors, plutôt
l'avortement ? Oui. Plutôt. Avorter, c'était une des fatalités de la condition féminine,
la norme en quelque sorte. Alors que les capotes, c'était réservé aux prostituées, aux
maladies vénériennes… le Mal ou le Péché en somme. Un couple honnête n'avait
pas à « se préserver ». On ne parlait pas de sexe non plus dans un couple honnête