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22Chapitre VIICHER PAUL

tenu un journal, je n'ai pas eu d'effort à faire. Et puis, au bout de quelques mois, Paul m'a avoué qu'il ne sentait pas du tout la plume d'un chroniqueur et qu'il avait choisi cette méthode pour "m'amorcer", en quelque sorte. Par une heureuse coïncidence, Flora a déménagé au même moment, et nous avons retrouvé dans des malles d'osier des dizaines de carnets de moleskine noire à tranche rouge avec un élastique, modèles courants à l'époque, où nous avions consigné chaque soir notre vie quotidienne sous l'Occupation et les rêves de deux petites jeunes filles rangées puis dérangées entre 1939 et 1945.

Après vingt ans de recul et dans ce contexte historique, ces vies entrecroisées prenaient un relief et un charme inattendus. C'est était pour nous faire plaisir à nous d'abord que nous avons formé le projet d'en tirer un livre. Flora non plus n'avait jamais songé à publier ce qu'elle écrivait. Depuis son retour en France avec son mari, qui dirigeait la succursale parisienne de la Barckays Bank, elle secondait notre mère à la Maison de Couture, faubourg St Honoré... ce genre de travail dans l'entreprise familiale qui n'apporte ni salaire ni retraite, ni même considération... "Elle aide sa maman", disait-on comme si cela ne constituait ni un métier ni même un gagne-pain et s'apparentait au dévouement filial. Une activité non rétribuée et réservée aux filles, bien entendu.

Paul, qui était alors directeur littéraire, s'engageait à nous publier et nous nous sommes mises au travail dans le bonheur, retrouvant les fous-rires et les disputes de notre adolescence, comme s'ils n'attendaient qu'un mot pour renaître. Un an après, en 1962, le Journal à quatre mains, retouché et dépoussiéré était prêt à revivre, sous nos noms de feunes filles, évidemment. C'était une nécessité, cette fois, de laisser tomber nos maris, Pringle et Guimard, nous redevenions les soeurs Groult après 20 ans d'interruption ! Et comme les bonnes soeurs, nous entrions en littérature à deux, pour avoir moins peur.

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Aviana