Au cours des 54 années que nous allions néanmoins
J'ai l'impression de ne jamais l'avoir vu "bosser". Jamais vrai-
ment. Et je lui tenais rigueur de ce dilettantisme d'une
certaine façon moi, l'étudiante laborieuse qui ne jurais que
par l'effort, la peine, voire le sacrifice.
Comme je me trouvais sur place, (
non plus après les femmes, elles lui tombaient toutes seules
dans les bras) et que sa femme en titre était carencée par quelques
années d'usage, nous nous découvrions avec un plaisir imprévu.
la concurrence. Et puis je rencontrais enfin un homme qui ap-
préciait mon "bas-bleuisme" et je pouvais parler politique avec
quelqu'un du même bord que moi et de poésie en les citant
poètes.
Je ne me méfiais pas de l'autre addiction que nous
avions en partage : le goût de la mer, de la pêche et du vent.
Naviguer ensemble chaque matin, poser un tramail, gréer
des casiers, découvrir mes petits ports du
sûrement qu'une passade amoureuse. Lui allait devenir
un excellent navigateur et un bel écrivain de la mer,
mais il manquait du courage physique et du goût de souffrir
qui sont indispensables au vrai coureur d'océans. Moi,
en revanche je ne rechignais pas au matelotage, j'aimais
les corvées, débrouiller les filets,
la lourde voile à cornes,
préciait que de rester à la barre, de consulter les cartes
nous deux, nous formions
à sa tâche, son bonheur de naviguer, au délicat plaisir
de former un équipage qui saurait résister au mau-
vais temps. Ce que nous avons réussi à faire malgré
nos divergences, "au cours des 54 années que nous allions