Rosie GROULT
J'avais vraiment une mère magnifique.
Ou bien je n'ai pas su être à mon tour une mère
magnifique, ou le moule des petites filles modèles
s'était perdu : je n'ai obtenu d'aucune de mes trois filles
cette soumission de larve où n'a couvé, hélas, aucune
révolte avant un âge avancé.
Ma mère, impavide, œuvrait pour mon bien. Com-
ment refuser le bien ? Elle ne pouvait qu'avoir raison.
Elle était belle, avec de grands yeux bleus un peu fixes
comme les miens. « Les yeux de vache des
disait mon père, qui avait les yeux en boutons de bot-
tien. Impeccablement, mais trop maquillée, comme
souvent les « jolies femmes » de ce temps-là, surtout
quand elles travaillaient dans la mode ; jamais malade
et partant chaque matin à la conquête du monde, les
ongles rouges, de grosses bagues aux doigts, une coif-
fure courte et crantée, rectifiée chaque jour au fer à fri-
ser que j'entendais cliqueter dans la salle de bains
quand elle l'enlevait de son support où brûlait une
tablette d'alcool Meta.
Elle n'aimait que la ville, à condition qu'elle soit
capitale ; détestait la
pagne, les chaussures de sport ; ne nageait pas et ne
savait pas conduire ; n'était heureuse qu'en dessinant
des modèles pour sa maison de couture, ou entourée
d'artistes et d'écrivains qui venaient à la maison pour
déguster l'insolence de
d'
nombreux « amoureux », de sa belle écriture en guir-
lande, d'une force et d'une régularité saisissantes, elle
qui avait appris à écrire chez les Sœurs, de cette gra-
phie penchée aux majuscules contournées qu'on impo-
sait à toutes les jeunes filles de ce temps-là. Née
Poiret
lors de son mariage en
elle voulut changer du même coup d'écriture, de style et
d'ambitions.
Je ne savais pas encore que j'allais faire la même chose à
vingt ans. Sauf pour l'écriture, j'ai toujours eu le même que ma
mère... et pour les ambitions... les siennes me bouchaient l'horizon.
Restait le prénom, c'était un début. En attendant, il fallait lui
ressembler ou ne pas être. Alors je n'étais pas...
A qui d'autre souhaiter ressembler en effet ?
Dans le salon de l
d'écrivains. Elles me paraissaient redoutables. Toutes un peu
sorcières comme
couleurs violentes, portant la frange et des cheveux courts, parlant
fort et ne lâchant pas d'une semelle leurs grands hommes.
Et aussi
m'avait jamais vue et que j'étais un insecte inconnu et
vaguement répugnant.
Et puis dans le monde extérieur, il y avait les
dames normales, les mères de mes amies de classe. Elles
parlaient des chignons, se chaussaient de Richelieus à talons