bottier tricotaient à
nombreuse progéniture et venaient la chercher
vêtues de tailleurs sombres ou de manteaux d'astrakhan
l'hiver. Maman détestait l'astrakhan. Elle porta long-
temps - beaucoup trop longtemps à mon goût - un ahurissant
ahurissant manteau de singe avec de longs poils noirs en
bataille. L'idée qu'elle pourrait apparaître à la porte de
ses escarpins à talons qui claquaient sur le trottoir d'une
manière indécente, ses "bibis" extravagants et son
allure de Reine, s'apparentait à un cauchemar.
Elle ne vint jamais par bonheur et l'Ecole put
rester pour moi un refuge contre ses excentricités et l'occasion
de cultiver un réel goût de l'étude, encouragé par un tém-
pérament moutonnier et besogneux. A la
tard, je multiplierais les certificats, grec, philologie, études
pratiques d'anglais, biologie... tout pour rester étudiante et
retarder l'entrée dans l'arène, où il faudrait "tenir la
dragée haute" aux garçons (encore une expression de ma
mère) aux garçons qui constituaient à mes yeux
une tribu redoutable, aux moeurs mystérieuses, mais
globalement hostile aux filles. Et il faudrait pourtant
que je "décroche" parmi eux un mari (toujours le vocabulaire
de la performance), ce qui me paraissait, vu l'état de
mes munitions, un exploit hors de portée. Tout à fait
à côté de la plaque, mon père, citant
"J'aime les jeunes gens qui entrent dans la vie l'injure
à la bouche." A moi qui n'avais jamais su dire
ZUT !
Avec mes complexes, j'étais faite sur mesure pour intégrer
le troupeau des agnelles de Dieu. Ne serait-il pas plus simple
en effet d'entrer au couvent où m'attendait un divin époux ?
Finie l'obligation de faire la belle, de séduire les bonshommes.
Finis les talons haut, le rouge Guitare, les indéfrisables ratées, les
bigoudis tous les soirs. J'ai caressé ce projet religieux sans véritable
sincérité et sans doute par défi à mes parents, pendant près d'une année.