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Chap. I
-13-
Rosie Groult


Je n'avais pas le courage d'être une excentrique. Ni les capacités.
Et je n'avais de secours à attendre de personne et encore moins de mes
lectures. Plus je lisais, au contraire, plus m'apparaissait
cette évidence qu'il n'existait pas d'avenir indépendant pour les filles. Je
n'avais pas même le soupçon qu'une Virginia Woolf pût
exister. Une chambre à soi, écrit en 1929, ne sera traduit en français qu'en
1951 (1)! J'ignorais tout bien sûr d'une Marie
Wollstonecraft
, d'une Olympe de Gouges, d'une Flora Tristan, d'une Louise
Wess
. Simone de Beauvoir n'allait écrire que cinq ou six ans plus tard, et je n'ai pas dû prononcer le mot << féminisme >> avant
d'avoir vingt-cinq ou trente ans. Et sans mot pour le dire,
comment concevoir la chose? Ma mère se moquait bien du droit de vote et de la politique en général. A moi d'en faire autant.
Je vivais en somme dans une sorte d'innocence, mais comme on dit <<
l'innocent du village >>. Nous d'avant guerre, qui avions
eu dix-huit ans en 1939, nous avons été presque toutes des innocentes du
village. D'un village planétaire. Et c'était pire ailleurs! Au
/es moins n'étais-je pas une de ces négresses à plateau que j'avais vu/, exhibées
comme des guenons sur une estrade, à l'Exposition
/m coloniale de 1936. J'avais seize ans déjà, mais l'idée ne p'a pas effleurée
qu'elles aussi étaient femmes << à condition >>. A
condition de plaire aux hommes qui fixaient les critères à leur guise, fussent-
ils les plus cruels, et n'épousaient qu'en cas de
conformité.

1Par Clara Malraux
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Aviana