A ce délire d'identification, j'avais des excuses.
Cette quête éperdue pour ne faire qu'un a été longtemps
considérée comme la forme suprême de l'amour et un
comportement hautement souhaitable pour une épouse.
Au point que cent vingt ans après
quante ans après moi, une de mes filles s'est comme
nous engagée par écrit à renoncer à ses goûts et à faire
vœu d'obéissance en se mariant, comme le prescrivait
d'ailleurs la loi 1
ans, de se lier à un jeune homme beau et fortuné mais
infiniment sérieux, et qui jugeait la fantaisie et les ten-
dances bohèmes de sa fiancée incompatibles avec l'état
d'une jeune épouse qui allait désormais vivre dans les
environs de
allaient se séparer après deux ans de mariage.
« Moi, soussignée, certifie qu'une fois mariée et
installée, je ferai mon ménage tous les matins : aspirer,
épousseter, brosser. La vaisselle sera faite régulière-
ment, les poubelles descendues, le frigidaire plein.
Je serai une perle une fois installée.
Au verso de ce feuillet d'engagement manuscrit
dont elle m'a autorisée à faire usage (et dont j'ignorais
l'existence jusqu'à ce jour), son futur mari a inscrit en
lettres majuscules : A GARDER JUSQU'A LA MORT.
Et, un peu plus bas, dans un éclair de lucidité,
ajouté : « ou jusqu'à l'épuisement ».
Les femmes ont toujours eu le triste don de tra-
duire en termes de travail domestique l'amour le plus
fervent. Épousseter, faire la vaisselle, aspirer, c'est
prouver son amour. Sans doute parce que cela reste
très prisé chez les maris... Tout autre engagement du
genre « je jure de poursuivre mes études jusqu'au
bout » ou « je promets de ne pas renoncer en me
mariant à mes ambitions littéraires (ou artistiques ou
politiques) », serait considéré avec la plus extrême
méfiance.
J'ai estimé moi aussi que ma plus grande preuve
_________________1. La promesse d'« obéissance à son mari » ne figure plus dans
le rituel du mariage civil depuis