était toujours là, qui continuait de dériver très lentement dans le port,
le poil noir et mouillé de son dos luisant sous les derniers rayons du
soleil. Il avait dû aller et venir ainsi toute la journée dans le même
périmètre réduit, butant mollement contre la paroi d'une coque et repartant
à la dérive entre les barques sans jamais s'éloigner vers le large. Ses
moustaches étaient encore dressées à la verticale, raides et pathétiques,
et, hors de sa gueule, émergeant à peine de l'eau et complètement désa-
grégée à présent, pendait la tête de poisson décomposée dont les restes
épars demeuraient accrochés au fragment de fil de pêche. La première idée
qui m'était venue en réalité, ce matin, quand j'avais découvert le cadavre
dans le port, était que cette tête de poisson qui pendait hors de sa gueule
était ce qui restait d'un appât de ligne morte qui était revenu flotter
à proximité du bord de la jetée de sorte que le
tellement dans le port en voulant s'en emparer. A première vue, en effet,
rien ne pouvait mettre en doute qu'il se fût agi d'un accident, et si
plusieurs choses me parurent troublantes par la suite, tout laissait évi-
demment à penser que je n'avais jamais vu ce
fois peut-être, mais sans doute sans témoin, qui se promenait dans le port
à la tombée de la nuit et qui s'était enfui dès que j'avais tenté de
l'approcher.
C'était la veille, ou l'avant-veille peut-être, peu après le coucher du
soleil, et je me trouvais tout seul sur la jetée, allongé dans la pénombre et
la tête penchée au-dessus des eaux lisses et paisibles du port qui ondulaient
faiblement dans l'obscurité, occupé à guetter un crabe qui s'était réfugié dans
une anfractuosité de la paroi. J'avais un chiffon à la main pour me protéger les
doigts de ses pinces, et de l'autre, je tenais un petit couteau rouillé que
j'avais ramassé non loin de là sur le quai et dont j'appuyais le plat de la
lame sans relâche contre la carapace du crabe pour tâcher de le déloger. Cela
durait depuis un certain temps déjà, et je serais certainement venu à bout