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II, 582


de l'île de Sasuelo balayait par intermittence la petite jetée de pierres
et disparaissait aussitôt dans la nuit, filant déjà au loin sur la mer.
Je m'étais avancé sur le quai en silence, les deux mains enfoncées dans
les poches, et je regardais le chat mort qui flottait dans l'obscurité à
quelques mètres du bord. La lumière du phare revenait éclairer le cadavre
à intervalles réguliers, et à chacun de ses passages surgissait dans la
lumière sa gueule horriblement ouverte et crispée qui se fixait sous mes
yeux le temps d'un éclair. Cela durait à peine un instant, et déjà la jetée
était replongée dans l'obscurité la plus complète.

Je n'avais pas souvenir en réalité d'avoir jamais vu la gueule du chat ainsi ouverte,
et cela m'intriguait d'autant plus que si quelqu'un s'était rendu dans le
port la nuit dernière pour faire disparaître de sa gueule le fragment de
fil de pêche, il avait dû approcher le cadavre avec une barque et l'avait
accosté sous le même clair de lune que celui de cette nuit, — le même exacte-
ment, avec les mêmes nuages noirs qui glissaient dans le ciel — son halo, avant de
se pencher prudemment hors de l'embarcation pour saisir par la nuque le
corps lourd et ( mouillé dégoulinant d'eau de) l'animal — son corps dégoulinant d'eau qui pendait dans le noir — pour tirer d'un coup sec sur
le fil qui pendait hors de sa gueule, de sorte que maintenant la bouche du
chat devait présenter différentes traces de mutilation, selon toute vraisem-
blance
me semblait-il, l'hameçon en se décrochant ayant dû
déchirer son lui déchirer le palais et abîmer
ses lèvres. Et c'est précisément en m'accroupissant au bord de la jetée
que  pour vérifier cette hypothèse que de la poche intérieure de mon manteau
glissèrent tout à la fois dans l'eau mon passeport et les quatre lettres que
j'avais prises quelques jours plus tôt dans la boîte aux lettres des Biaggi
et dont j'avais presque oublié l'existence. Je tendis <>le bras immédiatement
pour les repêcher, mais ne parvins qu'à m'emparer de mon passeport et de
trois lettres, la dernière lettre s'éloignant déjà du bord, portée par le
courant qui l'emportait lentement, dans les eaux noires du port. Je tournai
la tête de tous côtés sur la jetée à la recherche de quelque long bâton qui
m'eût aidé à la récupérer, mais ne trouvai qu'une petite épuisette, bien
trop courte, qui, malgré mes efforts, ne me permit pas de l'atteindre. J'aban-

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